« Les catégories musicales n'existent plus, dit-il. Le purisme est une valeur périmée. » Frank Ocean, qui a prêté sa plume à Beyoncé, Brandy ou Justin Bieber, est présenté, ici et là, comme la nouvelle étoile du R'n'B. Il s'en défend bec et ongles. Son premier album officiel, Channel orange, est le manifeste d'un esprit libre, la déclaration d'un talent protéiforme qu'aucun genre ne saurait absorber. Ni noir, ni blanc, ni soul, ni pop mais au-delà, à la marge, dans un monde qui se joue des étiquettes et n'appartient qu'à lui. Pour que les choses soient claires, il ne se présente pas avec une suite de chansons mais avec un album à part entière, un programme (la « chaîne orange ») qui s'écoute comme un tout et dont l'aiguille balaie toutes les fréquences de la musique moderne, une composition luxuriante qui nous fait passer par une myriade de décors et d'émotions pour lever le voile sur les multiples facettes d'un personnage dont on ne se lassera pas de sitôt. Du falsetto magique de Thinking about you, complainte de l'amour perdu plongée dans un paysage liquide de violons et de synthétiseurs engourdis par le chagrin, à l'utilisation virtuose des cadences du rap sur Crack Rock, Channel orange est un délice de versatilité. Simple, efficace mais travaillé par la folle boulimie d'un musicien qui sait jouer de toutes les voix et de toutes les orchestrations dans un tourbillon qui évoque aussi bien Prince que Radiohead. Les chansons de Frank Ocean sont des petits scénarios, remarquablement écrits, où les personnages prennent vie dans un luxe de détails sensibles et dramatiques. Son sens du récit et le rythme de sa langue lui viennent sans doute du rap, dont il fréquente assidûment les cercles (il est affilié à Odd Future, collectif très en vogue), et l'Amérique qu'il dépeint, avec un mélange assez unique d'ironie et de spleen, est celle des quartiers durailles d'où il est issu. Laurent Rigoulet Telerama n ê 3271 (17/09/2012)